Sinistralité en appel…
Il y a peu, assistant à un colloque, j’entendais les griefs d’un bâtonnier concernant la procédure d’appel, soulignant qu’elle était à l’origine d’une hausse inquiétante de la sinistralité dans le barreau.
Je n’ai pas eu l’occasion d’intervenir – et l’aurais-je fait ? – mais j’aurais bien répondu ceci…
“Je n’ai aucune déclaration de sinistre en matière fiscale, ni en matière administrative, ou même en pénal (liste non exhaustive). Pourtant, je suis d’une nullité affligeante en ces matières, et dans bien d’autres encore.
Ce n’est pas que j’ai de la chance, ni que je sois un avocat brillant, mais simplement que je me contente de faire ce que je sais faire, et que je ne m’aventure jamais sur un terrain que je ne connais pas. Je passe la main à un confrère pour lequel ces matières sont connues“.
Car c’est bien souvent cela le problème.
L’avocat ne peut pas tout savoir, et les pans du droit que j’ignore sont bien plus importants que ceux que je connais. C’est comme ça, je l’ai admis depuis longtemps. Et comme disait l’autre, “tout ce que je sais c’est que je ne sais rien…“, ce qui oblige à une certaine humilité.
L’avocat qui veut tout savoir prend le risque de se transformer en couteau suisse. Or, cet instrument fait tout… mais rien de bien (qui a déjà mangé au quotidien avec une fourchette suisse, ou couper du bois avec ce même couteau ?). L’avocat ne doit pas devenir un couteau suisse, mais au contraire un avocat qui se spécialise et qui développe son savoir-faire dans des domaines limités.
D’un autre côté, ne soyons pas hypocrites, et ne jouons pas les faux modestes, et acceptons de dire que dans telle matière, nous savons.
Tout cela pour dire qu’il ne faut pas exiger de l’avocat qu’il sache tout, et à l’avocat d’accepter de dire à son client que sur tel point, il lui faut soit déléguer à un confrère qui sait, soit diriger le dossier à un autre avocat qui saura apporter toute réponse utile à ce client.
Ce client ne partira pas en lâchant son avocat en estimant qu’il n’est pas bon. Au contraire.
J’ai pu constater que cette attitude était parfaitement admise du client. Et mieux, le client se dit que si vous acceptez vos limites, c’est que lorsque vous acceptez d’intervenir sur tel dossier, c’est que vous maîtrisez la matière. Cela participe aussi à la construction de la relation de confiance qui doit exister entre le client et l’avocat.
Et le client, que j’ai dirigé vers le confrère, est resté client du cabinet.
Et en l’espèce, pour en revenir à notre bâtonnier, peut-être faudrait-il que les ordres rappellent aux avocats qu’ils ont l’obligation de n’intervenir que dans les limites de leurs compétences.
Il en va de la crédibilité de la profession à l’égard du justiciable, et aussi de l’intérêt des confrères qui ne souffriront certainement pas de devoir payer des primes d’assurance plus élevées parce que certains se sont aventurés sur des terres inconnues.
La procédure d’appel – car c’est de cela qu’il s’agit – est complexe, et la jurisprudence de la Cour de cassation ne la rend pas plus facile. Et gageons que la réforme à venir n’ira pas dans le sens d’une simplification.
Alors, bien sûr, je plaide pour ma paroisse, le cabinet offrant évidemment un service de postulation d’appel – et a fortiori de première instance -, mais il est fortement conseillé à tout avocat de déléguer cette partie postulation à un avocat spécialiste de la procédure d’appel ou à tout le moins qui a une certaine expérience en la matière. Le procès d’appel est chose sérieuse, et la juridiction d’appel est la dernière instance. Il ne faut donc pas se louper.
Et même si dans beaucoup de dossiers, tout se passe sans encombres, un problème peut surgir à tout moment. Et il n’est pas toujours facile de sortir sans dommage d’une situation procédurale qui peut vite devenir complexe. Alors, oui, il y a toujours la possibilité de faire appel, par exemple, à un cabinet qui propose un service de conseil en ligne en procédure civile, et je pense évidemment à… nous 😉 Mais il arrive que la cause soit perdue, et qu’il n’y ait pas d’issue de secours.
Et nous avons tellement de dossiers en tête qui ont connu des fins tragiques… pour l’avocat qui alors peut perdre un gros client. Ainsi, récemment (hier), je prenais connaissance d’une ordonnance d’irrecevabilité, après une double caducité, dans un dossier portant sur une très belle propriété et dans lequel l’appelant, le propriétaire, espérait obtenir des dommages et intérêts de plusieurs centaines de milliers d’euros. Et bien non, le fond de l’affaire ne sera pas tranché, celle-ci se terminant prématurément sur un problème de procédure.
Ou ces dossiers, dans lesquels je conclus en réponse ce jour, sur une irrecevabilité des conclusions pour un montant de près de 70 000 euros.
Et des exemples de ce type, nous en avons plein les étagères et les archives…