L’indispensable notification préalable de l’acte de constitution

13 décembre 2021
Procédure civile

Cet arrêt de cassation est extrêmement intéressant (Cass. 2e civ., 2 déc. 2021, n° 20-14.480, Publié au bulletin) :

« 7. En application de l’article 911 du code de procédure civile, sous les sanctions prévues par les articles 908 à 910 de ce code, les conclusions sont signifiées aux parties qui n’ont pas constitué avocat dans le mois suivant l’expiration du délai de leur remise au greffe de la cour d’appel ; cependant, si entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.

8. Selon l’article 960 du code de procédure civile, la constitution d’avocat par l’intimé ou par toute personne qui devient partie en cours d’instance est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats.

9. Seule la notification entre avocats rend ainsi opposable à l’appelant la constitution d’un avocat par l’intimé, à l’exclusion de tout autre acte.

10. Cette règle de procédure, qui impose que l’appelant soit uniquement et directement averti par le conseil de l’intimé de sa constitution, poursuit le but légitime de garantir la sécurité et l’efficacité de la procédure. Elle ne constitue pas une atteinte au droit à l’accès au juge d’appel dans sa substance même et ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel au regard du but poursuivi.

11. L’appelant est, en effet, mis en mesure de respecter l’obligation de signifier ses conclusions à l’intimé lui-même ou de les notifier à l’avocat que cet intimé a constitué, dès lors qu’il ne doit procéder à cette dernière diligence que s’il a, préalablement à toute signification à l’intimé, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d’un avocat par l’intimé.

12. Ayant, d’une part, relevé que les appelants n’avaient notifié leurs conclusions dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile qu’à M. [K], avocat, alors que la société intimée ne l’avait alors pas constitué et que les appelants n’avaient pas reçu l’avis de constitution de leur adversaire, faisant ainsi ressortir, par cette considération, que les appelants n’avaient pu légitimement croire que la société intimée avait constitué un avocat, et, d’autre part, exactement retenu qu’il importait peu à cet égard que le greffe n’ait pas adressé aux appelants un avis d’avoir à signifier la déclaration d’appel à l’intimée, conformément à l’article 902 du code de procédure civile, ou ait mentionné à tort sur un avis le nom d’un avocat constitué, c’est à bon droit, sans méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d’appel a constaté la caducité de la déclaration d’appel.

13. Le moyen, qui n’est pas fondé en sa première branche, est inopérant en sa seconde branche. »

Il y a deux points essentiels, à mon sens, dans cette décisions :

  • « Seule la notification entre avocats rend ainsi opposable à l’appelant la constitution d’un avocat par l’intimé, à l’exclusion de tout autre acte. »
  • « (…) dès lors qu’il ne doit procéder à cette dernière diligence que s’il a, préalablement à toute signification à l’intimé, été informé, par voie de notification entre avocats, de la constitution d’un avocat par l’intimé (…) ».

 

C’est très instructif, ce que nous dit ici la Cour de cassation.

Et cela questionne sur un point sur lequel nous pouvons légitimement nourrir des interrogations ?

Si l’appelant reçoit non pas la notification d’un acte de constitution, mais des conclusions de l’avocat de l’intimé, alors que, jusqu’alors, l’avocat de l’appelant ignorait que l’intimé avait constitué un avocat.

L’avocat de l’appelant doit-il alors tenir compte de ces conclusions ?

Peut-il, doit-il, considérer que la partie intimée est alors représentée par cet avocat qui notifie des conclusions ?

Au regard de la règle rappelée par la Cour de cassation, nous pouvons en douter.

Le « à l’exclusion de tout autre acte » devrait exclure l’acte que sont les conclusions.

Cela remet en question ce principe selon lequel « les conclusions valent constitution ».

Sur cette problématique, j’ai déjà eu l’occasion de dire ce que j’en pensais, dans un article parue il y a quelques années déjà dans la Gazette du Palais.

Ce principe, je considère qu’il ne vaut pas grand chose, et que l’avocat doit en tout état de cause notifier un acte de constitution.

Pour rappel, ce principe n’est pas inscrit dans le Code de procédure civile, contrairement à ce que peuvent croire certains confrères ou consoeurs.

Nous le trouvons dans un arrêt de… 1979 ?, au surplus dans une instance introduite avant l’entrée en vigueur du Nouveau Code de procédure civile.

En conséquence de cet arrêt, nous devons conseiller aux confrères et consoeurs, qui s’aperçoivent qu’une avocat s’est seulement « enregistré » au greffe, de considérer que l’intimé n’a aps constitué avocat, et qu’il est défaillant. Il faudra donc signifier les conclusions, ou la déclaration d’appel, à la partie elle-même, non à son avocat (qui n’est pas constitué).

Et si l’appelant reçoit d’un avocat des conclusions, sans avoir reçu préalablement reçu notification d’un acte de constitution alors… ?‍♂️

… la Cour de cassation ne nous dit pas quoi faire ??

Si l’avocat n’a pas notifié son acte de constitution, alors ces conclusions sont… ?… nulles pour irrégularité de fond ? En effet, cet avocat n’aurait pas le pouvoir de représenter la partie intimée ?

Il serait donc opportun, dans ce cas, d’aller en incident devant le conseiller de la mise en état en nullité des conclusions, et par voie de conséquence en irrecevabilité 909 ?

Et l’appelant devra-t-il nénamoins signifier les conclusions à la partie elle-même ? Pas certain… mais pas certain non plus du contraire.

Je verrai comment je ferai la prochaine fois que le problème se posera…

… et il se posera, car nous voyons encore des confrères et consoeurs qui n’ont pas compris qu’un enregistrement au greffe n’est aps suffisant.

Et pourtant, cela n’est pas nouveau.

L’article 960 n’a guère bougé sur ce point depuis l’entrée en vigueur du CPC.  Donc, depuis au moins 40 ans, l’avocat de l’intimé informe l’avocat de l’appelant de sa constitution par la notification d’un acte de constitution, et dont il remet copie au greffe. Et ce qui est remis au greffe n’est pas l’acte de constitution, mais la copie de cet acte qui est en tout état de cause un acte notifié entre avocat, et seulement entre avocat (ou défenseur syndical en matière prud’homale).

Je suivrai avec intérêt l’évolution de cette jurisprudence. Nous verrons à terme si les conclusions valent constitution… J’attends la réponse depuis quelques temps, déjà…