Irrecevabilité des conclusions. Et après ?
C’est une question que j’avais posée, notamment après l’arrêt de l’Assemblée Plénière du 5 décembre 2014 qui avait reconnu le caractère indissociable des conclusions et des pièces (Cass. , ass. plén., 5 déc. 2014, D. avocats 2015. 80, note Lhermitte).
Je m’étais alors demandé jusqu’où devait aller ce caractère indissociable.
La Cour vient de donner sa réponse.
En l’espèce, un intimé avait été déclaré irrecevable à conclure au fond.
Muet sur le fond, pouvait-il tenter de renverser la situation en discutant de la régularité de la procédure de son adversaire ?
Le conseiller de la mise en état n’y avait rien trouvé à redire. Et c’est ainsi que l’intimé avait pu obtenir que l’instance soit déclarée éteinte, pour irrégularité de fond dans les conclusions de l’appelant.
Par un arrêt, évidemment publié, la Cour de cassation donne son avis sur la question, inventant là où le texte ne dit rien (Civ. 2e, 28 janvier 2016, n° 14-18712, Publié au bulletin) :
Vu les articles 909 et 911-1 du code de procédure civile ;
Attendu qu’ayant laissé expirer le délai qui lui est imparti par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure, l’intimé n’est plus recevable à soulever un moyen de défense ou un incident d’instance ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Crédit du Nord (la banque), qui avait consenti une autorisation de découvert à la société 4 Décoration dont le gérant, M. X…, s’est porté garant, a fait assigner ceux-ci en paiement d’une certaine somme ; que la banque a interjeté appel, le 27 novembre 2012, du jugement d’un tribunal de commerce ayant statué sur ses demandes, puis a conclu le 26 février 2013 ; que la société 4 Décoration et M. X… ayant conclu, en formant un appel incident, le 29 avril suivant, le conseiller de la mise en état a invité les parties à conclure sur la recevabilité de ces écritures ; que les intimés ont déféré à la cour d’appel l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré leurs conclusions irrecevables et l’appel principal recevable ;
Attendu que pour infirmer l’ordonnance du conseiller de la mise en état, annuler la déclaration d’appel et constater l’extinction de l’instance, l’arrêt retient que la déclaration d’appel, les conclusions de l’appelante au fond et ses conclusions d’incident sont entachées d’une irrégularité de fond en ce qu’elles ont été établies au nom de la banque agissant poursuites et diligences du président de son conseil d’administration, lequel, contrairement au directeur général de la banque, n’avait pas le pouvoir de donner mandat de représentation au conseil de cette dernière ;
Qu’en statuant ainsi, alors que les conclusions des intimés avaient été déclarées irrecevables comme tardives, la cour d’appel, qui ne pouvait relever d’office l’irrégularité de fond qu’ils soulevaient, a méconnu les textes susvisés ;
ayant laissé expirer le délai qui lui est imparti par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure, l’intimé n’est plus recevable à soulever un moyen de défense ou un incident d’instance
Cet arrêt est extrêmement important.
Si l’on pouvait admettre que l’intimé muet ne puisse introduire un incident de procédure affectant le fond, cela n’était pas évidement sur ce qui touchait la procédure stricte.
A noter le terme “incident d’instance” dont le contexte nous montre qu’il doit être pris dans son acception la plus large, et non au sens que l’on peut donner au sens procédural strict.
Plus loin, nous voyons que l’appelant qui a obtenu que l’intimé soit réduit au silence se trouver dans une situation extrêmement confortable, seuls les incidents de procédure que le magistrat peu ou doit relever d’office pouvant alors lui être opposés. Exit donc la péremption, par exemple.
La Cour va très loin dans la sanction de l’intimé.
Je le répète, et aurait à nouveau l’occasion de le redire : la procédure d’appel devient de plus en plus périlleuse.
S’adjoindre l’aide d’un spécialiste de la procédure d’appel n’est certainement pas la plus mauvaise décision qui peut être prise en appel par un avocat qui souhaite mettre toutes les chances de son côté, et éviter de devoir expliquer à son client pour quelles raisons son dossier a été bêtement perdu pour une question de procédure.
Une procédure d’appel qui devient de plus en plus périlleuse, et qui ne laisse aucune place à l’erreur, la Cour de cassation enlevant les derniers filets qui étaient encore en place…. et le législateur n’étant certainement pas à réfléchir pour les remettre…