Irrecevabilité des conclusions au fond et saisine du conseiller de la mise en état…
… ou l’intimé dont les conclusions au fond ont été déclarées irrecevables, peut-il néanmoins saisir le conseiller de la mise en état ?
Un auteur de mes amis a pu écrire (Gazette du Palais 9-11 juin 2013, Doctrine, page 11, Négligence de l’intimé et nouvelles conclusions de l’appelant: quelle rigueur dans la nouvelle procédure d’appel ? Faut-il sanctionner l’appelant diligent ?), concernant l’intimé ayant failli à conclure dans son délai, que :
« L’intimé devient alors simple spectateur d’une procédure d’appel qui lui échappe, seul s’ouvrant à lui la possibilité de communiquer des pièces ou d’introduire un incident devant le conseiller de la mise en état »
Il semble que le magistrat de la mise en état de la d’appel de la Cour d’appel de Saint-Denis, soit n’a pas lu cet article, soit n’en partage pas tous les termes… et c’est son droit.
En effet, le conseiller a considéré que « les conclusions du 18 septembre 2013 sont donc irrecevables de même que les conclusions aux fins de radiation fondées sur l’article 526 du CPC notifiées et déposées le 26 septembre 2013, après l’expiration du délai légal de l’article 909 du CPC » (CA Saint-Denis 7 février 2014, n° 13/00937 ; voir aussi CA Aix, OCME du 23 février 2015*).
Nous regretterons au passage que le magistrat ne s’explique pas davantage sur cette prise de position pour le moins discutable. Il est décidé, souverainement, que toutes les conclusions après le délai de l’article 909 du CPC sont irrecevables, qu’il s’agisse des conclusions au fond ou des conclusions saisissant le conseiller de la mise en état.
Il n’est pas certain que le magistrat se soit penché plus avant sur la portée d’une telle décision, même si elle peut paraître a priori justifiée au regard d’une lecture rapide de l’article 909 du Code de procédure civile.
Cette décision est pour le moins étonnante, et à mon avis contraire aux textes.
Le texte ne prévoit pas l’irrecevabilité des conclusions d’incident
D’ailleurs, comment imaginer qu’un intimé serait irrecevable à conclure sur un incident d’irrecevabilité d’appel pour tardiveté – par conclusions d’incident devant le CME – au motif qu’il n’a pas conclu dans son délai 909 du Code de procédure civile, alors même que cet intimé a pu considérer qu’il était inutile pour lui de conclure au fond sur un appel manifestement irrecevable ?
De même, un appelant ne pourrait jamais se voir opposer une péremption d’instance au motif que l’intimé n’aurait pas conclu dans son délai 909, étant précisé que cette péremption ne peut être soulevée d’office.
Et ce ne sont que quelques exemples qui démontrent l’absurdité de cette position. Mais les exemples sont infinis.
Rien ne justifierait de mettre l’intimé défaillant dans l’impossibilité de saisir le magistrat de la mise en état de tout incident
Il est absurde de considérer qu’une partie irrecevable à conclure au fond ne puisse introduire un incident. Le texte ne le dit pas et il n’appartient pas au magistrat d’ajouter au texte.*
En tout état de cause, il est plus que probable peut éventuellement être supposé que peut-être* que la Cour de cassation ne pourra jamais faire sienne une telle position… et je ne prends pas de grands risques car si la Cour de cassation se prononce en ce sens, je ne manquerai pas d’effacer ce message… pas fou…
Au surplus, notons au passage que qu’il semblerait que le magistrat de la mise en état a soulevé ce moyen sans inviter les parties à s’expliquer, ce qui est une violation du principe de la contradiction.
Pour la même raison, la partie pourra communiquer de pièces, la sanction ne touchant que les conclusions (au fond), non la communication des pièces.*
Certains magistrats ont pourtant pu avoir une telle position – et c’est le cas de la chambre commerciale de la Cour d’appel de Rennes – estimant que les pièces n’ont plus de support, mais cette jurisprudence est tout autant contestable. S’il est vrai que les pièces n’ont plus de support, à savoir des conclusions recevables, il n’en demeure pas moins que la production de pièces doit aurait pu* être permise. D’ailleurs, cette communication de pièces pourrait parfois conduire les magistrats à soulever d’office un moyen de pur droit.
L’intimé irrecevable à conclure au fond doit pouvoir communiquer des pièces, la sanction ne concernant que les seules conclusions*
Ici encore, le magistrat ajoute au texte en excluant la communication des pièces par la partie déjà sanctionnée par l’irrecevabilité de ses conclusions. Le décret est suffisamment rigoureux pour ne pas ajouter des sanctions non prévues.
* Edition du 17 mars 2015 :
Ben voilà, depuis cet article, la Cour de cassation a rendu l’arrêt de l’Assemblée Plénière du 5 décembre 2015 considérant que l’intimé irrecevable à conclure au fond ne peut se prévaloir de pièces. A ma décharge, le rapport allait également dans ce sens, estimant que les pièces étaient dissociables des conclusions. Manifestement, la Cour de cassation est allée au-delà du texte qui ne disait rien à cet égard.
D’autre part, il est permis désormais de s’interroger sur la possibilité pour cet intimé malheureux de former un incident, et le cas échéant quel type d’incident. Je mets donc de plus grandes réserves dans mes pronostics.
Pour info, un petit commentaire est paru dans Dalloz Avocats, de février 2015, dans lequel la question est posée.
Arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis à télécharger : CA Saint-Denis 7 février 2014, n° 13-00937