Irrecevabilité d’appel : même pas peur !

21 septembre 2023
Anecdotes et vie du cabinet
cool
Douce insouciance qui permet de conserver la sérénité dans les situations les plus inconfortables.
Voilà ce que m’inspire cet épisode vécu à une audience.

C’est l’appel des causes. Peu de dossiers, donc peu d’avocats dans la salle, et ce d’autant que certains dossiers ont déjà été déposés.

Le premier dossier est appelé. Je représente l’intimé. Alors que j’avance mon traditionnel “à retenir“, le président interpelle les avocats avec cette phrase que l’on aime guère entendre en ces lieux : “il y a un problème dans ce dossier !“. Je sais rapidement que je ne suis pas en difficulté, le président regardant l’avocat de l’appelant en expliquant alors n’avoir ni timbre ni décision d’aide juridictionnelle pour l’appelante. Rien de moins !

Et là, je suis bien content d’être à la place qui est la mienne, de postulant pour l’intimé.

Ma compassion étant ce qu’elle est, je m’imagine à la place du confrère mis ainsi en difficulté, au surplus devant sa cliente qui a fait le déplacement.

Alors que j’attends un confrère balbutiant, faisant amende honorable pour obtenir la clémence du magistrat, je vois un avocat conserver un calme olympien.

Il sort deux décisions d’aide juridictionnelle, dont on voit rapidement qu’elles ne concernent pas la procédure d’appel, mais celle de première instance.

Ah oui, c’est vrai, j’ai dû oublier de déposer un dossier d’aide juridictionnelle en appel. Et le timbre ? Ben, compte tenu des revenus de la cliente, elle a droit à l’AJ. On veut bien la croire, mais encore fallait-il demander l’aide juridictionnelle, ce qui suppose de déposer un dossier…

Et là, je comprends que le confrère ne perçoit pas bien la difficulté. Le magistrat s’en rend compte également car il estime utile de rappeler que l’absence de timbre signifie tout de même irrecevabilité de l’appel, tout en soulignant que cette demande de justifier du règlement de la taxe fiscale avait déjà été faite au cours de la procédure.

Bref, cela signifie : mon cher maître, je peux déclarer l’appel irrecevable, comme le prévoit le Code de procédure !

Ce rappel, qui m’aurait personnellement fait froid dans le dos, tombe comme un flan.

Mais le magistrat ne souhaite pas mettre la partie en difficulté. Tout juste a-t’il voulu lui faire peut-être peur… vainement. Il propose de renvoyer… alors que c’est l’avocat de l’appelant qui aurait dû l’implorer de renvoyer cette affaire, pour lui permettre soit de payer immédiatement le timbre fiscal, soit de pouvoir déposer un dossier d’AJ… tardivement.

 

Cet incident d’audience, s’il m’avait concerné, m’aurait sérieusement mis mal, et vexé, et ce d’autant qu’il soulignerait un manque de suivi de ma part.

Mais personne ne réagit de la même façon. L’avocat de l’appelant s’en est retourné à son cabinet, attendant les pièces de sa cliente pour déposer un dossier d’aide juridictionnelle, ce qui accessoirement lui permettra d’être rémunéré pour cette procédure d’appel, ce qui semblait ne pas être une priorité.

Curieuse audience, curieux comportement, mais qui inquiète.

En l’espèce, il ne s’agissait “que” d’une irrecevabilité d’appel pour absence de paiement du timbre fiscal, moyen qui n’est qu’à la disposition de la juridiction, et que les parties ne peuvent invoquer. De plus, le président d’audience était plutôt arrangeant.

Mais l’erreur procédurale aurait pu être autre, avec des conséquences plus lourdes. Le président aurait aussi pu être moins arrangeant, en estimant que son audience était fixée de longue date, que la partie avait été informée qu’il fallait justifier du paiement du timbre et que le dossier était en état pour lui.

L’avocat aurait aussi pu, comme cela devient malheureusement souvent la règle, ne pas être présent à l’audience, de sorte que le dossier aurait été retenu pour irrecevabilité de l’appel… ce qui rend difficile le commentaire d’arrêt au client.

Le confrère n’a véritablement pas pris conscience de la situation inconfortable dans laquelle il se trouvait. Les balles ont sifflé à ses oreilles, mais il n’a rien entendu.

Si au cabinet nous sommes partisans du “no stress” – et globalement, nous y parvenons -, ce n’est pas en ignorant les problèmes mais plutôt en anticipant, et en faisant en sorte de les éviter.

Mais chacun sa façon d’appréhender les choses.