Différer sa “constitution” ?

21 septembre 2023
Actualité

En appel, il est une pratique que l’on peut rencontrer, consistant à “retarder sa constitution”.

Que peut-on en penser ?

Encore hier, je lisais un confrère conseiller à un autre confrère de ne pas se constituer sur un acte d’appel, afin de compliquer la procédure d’appel, dans l’espoir que l’avocat de l’appelant oublie un des actes de procédure imposés par le Code de procédure civile.

Ce n’est pas la pratique habituelle du cabinet, sauf cas particulier, et cela pour deux raisons.

 

La déontologie

 

Il ne peut être reproché à un confrère de soulever tout moyen utile de procédure civile, dans l’intérêt de son client, mais dans le strict respect des règles qui régissent notre profession.

Mettre le confrère en difficulté parce que nous disposons d’un moyen de procédure n’est pas contraire au principe de confraternité.

Les règles de procédure existence, et elles ont leur raison d’être, et tout manquement doit être sanctionné, faute de quoi les règles de procédure ne servent à rien.

Alors, évidemment, nous somme parfois ennuyés de devoir opposer un moyen de procédure à un confrère sympa, qui peut se trouver en difficulté. Mais la sympathie pour le confrère ne peut prendre le dessus sur la mission qui est celle de l’avocat, et sur les obligations qu’il a à l’égard de son client.

Mais il est dans l’obligation de l’avocat, mandataire de son client, de lui faire bénéficier de tous moyens qui lui profitent, qu’ils soient de fond ou de procédure.

La confraternité entre avocats ne saurait passer au-dessus de l’intérêt du client. Et le confrère le comprendra aisément, car il peut se trouver dans la même situation.

De plus, en ne soulevant pas un moyen de procédure, l’avocat prend le risque de devoir faire face à une action en responsabilité engagée par son client qui pourra avoir connaissance de ce manquement. Il suffit par exemple qu’il y ait un changement d’avocat, ou que le dossier perte en cassation, pour que cela soit mis au jour.

Et après tout, comme j’ai pu l’écrire à un bâtonnier à l’occasion – il m’était justement reproché un manque de confraternité pour avoir soulevé un moyen de procédure qui au demeurant a prospéré… – c’est tout de même le client qui me paie. Et il me paie que je fasse mon boulot, pas pour faire des cadeaux à la partie adverse !

En revanche, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de piéger le confrère.

La stratégie est une chose, et je la pratique. Mais toujours dans le respect de la déontologie et de l’esprit du Code de procédure civile.

Cependant, la stratégie ne consiste pas à piéger son confrère par des moyens déloyaux.

“Retarder sa constitution” – je mets cette expression entre parenthèses car elle est impropre même si couramment usitée -, ce n’est pas de la stratégie.

Ce n’est pas loyal, car l’objectif est alors de rendre la procédure d’appel plus complexe pour le confrère, dans l’espoir qu’il plante sa procédure.

Bref, en appel, seuls les coups de Jarnac sont admis ! Et je signale au passage, pour rétablir la vérité, que la botte de Carnac est un coup régulier, contrairement à ce qui est souvent véhiculé. L’adversaire est estropié à vie, mais le coup est loyal.

Confraternité et loyauté, dans le strict respect des intérêts du client.

 

L’esprit du CPC

 

J’aborde la procédure d’appel, mais il en va de même de la première instance. Cependant, ce différé ne présente guère d’intérêt devant le tribunal.

Être constitué, pour un avocat, c’est avoir reçu mandat du client pour le représenter.

La constitution est donc un mandat de représentation donné à un avocat. Ce n’est pas, à proprement parler, un acte de procédure.

Cette précision est importante pour comprendre l’article 903 du Code de procédure civile, mais aussi l’article 756 du CPC qui est son pendant de première instance.

Dès qu’il est constitué, l’avocat de l’intimé en informe celui de l’appelant“.

Cela signifie que dès qu’il a reçu ce mandat de représentation, l’avocat de l’intimé doit en informer son confrère représentant l’appelant, ce qui renvoie alors aux règles de notification de cet acte de procédure qu’est l’acte de constitution.

Le CPC utilise le terme “dès“, ce qui implique l’immédiateté. Il n’est pas question ici de délayer cette information.

Différer l’information, et donc la notification de l’acte de constitution, ce n’est pas l’esprit du Code.

Et cela se comprend d’autant plus aujourd’hui que ce différé alourdit indéniablement la situation de l’appelant.

L’intimé, quant à lui, ne prend pas véritablement de risques, le délai de quinzaine pour constituer n’étant assorti d’aucune sanction. En revanche, cela oblige l’appelant à signifier l’acte d’appel, ainsi que les conclusions, dans un délai imposé, et ce à peine de caducité.

Il n’est évidemment pas dans l’esprit de la réforme de permettre à une partie de jouer avec les textes pour embêter la partie adverse.

Il s’agit ici encore de loyauté, même si l’on sait que ce principe ne fait pas partie des principes directeurs du procès. Il n’en demeure pas moins que ce principe de loyauté doit être présent dans tout procès.