Confraternité et intérêt du client : le difficile exercice
Le Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat, en son article 1er, précise que l’avocat respecte, dans l’exercice de ses fonctions, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.
L’article 5 précise quant à lui qu’en cours de procédure, les rapports de l’avocat avec son confrère défendant l’adversaire doivent s’inspirer des principes de courtoisie, de loyauté et de confraternité régissant la profession d’avocat.
Le principe est posé : il faut être confraternel entre avocats.
Le problème est de savoir où s’arrête cette confraternité dont il peut être constatée qu’elle est tout de même très (trop ?) souvent invoquée, au point même d’en perdre parfois son sens.
Pour d’aucuns, être confraternel pourrait notamment se définir comme ne pas mettre le confrère en difficulté. Mais une telle définition devient rapidement discutable dès lors que la confraternité peut, très souvent, se heurter à une autre obligation de l’avocat, celle qu’il a à l’égard de son client. En effet, le même article 1er cité supra dit que l’avocat fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.
Aujourd’hui, et ce depuis le 1er janvier 2012 (plus précisément le 2 janvier 2012), il doit être constaté que les incidents de procédure se sont multipliés en appel, non pas en raison de l’entrée en vigueur du décret de 9 décembre 2009, lequel est mis en oeuvre depuis le 1er janvier 2011, mais en raison du transfert du monopole de représentation devant les cours d’appel à la profession d’avocat.
Par définition, un incident de procédure, telles que la caducité d’une déclaration d’appel et l’irrecevabilité de conclusions ou d’un appel, met nécessairement le conseil en difficulté.
En effet, si ce moyen de procédure aboutit, le conseil devra s’expliquer avec un client qui aura souvent du mal à comprendre pour quelles raisons son affaire a été classée sans qu’elle soit jugée, ses conclusions non examinées par les juges d’appel, etc.
De plus, l’avocat devra non seulement assumer un entretien très certainement difficile avec son client, client que du reste il risque de perdre, mais il devra au surplus effectuer une déclaration de sinistre, ce qui n’est pas sans conséquences financières en termes de franchise, et à plus long terme d’augmentation de la prime d’assurance.
Le problème de la confraternité se pose donc plus que jamais, avec l’inflation des incidents de procédure en cause d’appel, et à terme des déclarations de sinistre.
Pour éviter à son confrère ces inévitables déboires, et en application du principe de confraternité, un avocat doit-il, et surtout peut-il, fermer les yeux sur un problème de procédure qui mettrait le confrère en difficultés ?
Il peut effectivement être tentant, ne serait-ce que dans l’espoir d’un retour d’ascenseur, ou même par pure gentillesse avec un confrère si sympathique, de ne rien faire dans un tel cas de figure, et de ne pas soulever ce moyen de procédure qui mettra nécessairement le confrère en difficulté.
Cependant, outre l’obligation de compétence et de diligence auquel l’avocat est tenu à l’égard de son client aux termes du RIN, l’avocat et le client sont très souvent liés par une convention d’honoraires rédigées à peu de choses près en ces termes : « l’avocat s’engage à procéder à toutes les diligences, à mettre en œuvre tous les moyens de droit et de procédure pour garantir les intérêts du client et lui assurer les meilleures chances de succès« .
Pour ne pas mettre un confrère en difficulté, l’avocat doit-il, peut-il, accepter de passer outre les intérêts de son client ?
Il apparaît qu’en procédant de la sorte, le conseil manque à ses obligations à l’égard de son client.
Une telle attitude est d’autant plus contestable que le client paie un avocat précisément pour qu’il lui garantisse les meilleures chances de succès.
L’avocat manque indubitablement à ses obligations contractuelles et au devoir de dévouement auxquels il est tenu s’il s’abstient de soulever un moyen de procédure.
Sur le plan disciplinaire même, la position de l’avocat pourrait s’avérer délicate.
De plus, l’avocat risque de perdre la confiance du client qui ne pourra pas comprendre que son conseil fasse passer les intérêts de son confrère avant les siens.
Bien évidemment, il peut être rétorqué que le client, qui généralement n’y connaît rien en procédure, n’y verra que du feu.
C’est oublier toutefois que de nombreux moyens de procédure doivent être relevés d’office par le magistrat.
Pour peu que le client suive d’assez près l’évolution de son dossier, l’aura du conseil peut être sérieusement écornée aux yeux d’un client qui constate que son conseil n’a pas vu ce que le magistrat a vu.
Il peut être très vexant de devoir expliquer à son client que le magistrat a vu que ce que lui-même n’avait pas vu, mais qu’il aurait dû voir.
Le client peut aussi soupçonner l’avocat de ne pas avoir relevé intentionnellement ce moyen de procédure.
D’autre part, et surtout, les procédures ne s’arrêtent pas nécessairement à l’arrêt d’appel.
Il faut rappeler qu’en cas de pourvoi en cassation, l’avocat à la Cour de cassation demande que lui soit envoyée l’intégralité de la procédure d’appel, c’est-à-dire tous les actes de procédure, en original.
Les avocats à la Cour de cassation « épluchent » véritablement la procédure, pour s’assurer qu’elle était régulière. Si un moyen de procédure a échappé à la vigilance de l’avocat en appel, l’avocat à la Cour de cassation le verra nécessairement.
Ainsi, l’avocat à la Cour de cassation relèvera immanquablement que les conclusions n’ont pas été régulièrement remises ou notifiées dans les délais impartis et dans les formes requises, que l’acte de constitution n’était pas régulier, etc.
Or, rappelons, par exemple, que l’irrecevabilité des conclusions et la caducité de la déclaration d’appel, par application des dispositions issues du décret du 9 décembre 2009 (improprement appelé « décret Magendie »), doivent être relevées d’office.
Par conséquent, ce moyen de procédure, oublié pour une raison ou pour une autre au stade de l’appel, surgira devant la Cour de cassation et pourra être invoqué au soutien d’un pourvoi.
Ici encore, il est aisé de s’imaginer que le client, qui a été obligé de se pourvoir en cassation, avec les conséquences que cela représente sur le plan financier, demandera des explications à son conseil. Ce dernier devra convaincre son client que c’est à raison qu’il n’a pas soulevé ce moyen de procédure, par confraternité, confraternité qui aura tout de même valu à son client et mandant de devoir subir une procédure en cassation suivie d’une instance devant la juridiction de renvoi. Il est probable que le client appréciera moyennement cette confraternité entre avocats.
Le client de l’avocat dit adverse ne sera pas nécessairement mieux loti dès lors qu’il aurait été préférable pour lui que l’irrégularité qui affectait sa propre procédure soit vidée en appel, ce qui lui aurait évité un allongement de la durée de la procédure et un accroissement du coût d’un procès mal engagé.
S’il peut être tentant, par confraternité, de ne pas soulever un moyen de procédure, pour ne pas mettre son confrère en difficulté, il s’agit en définitive d’une fausse bonne idée, qui risque de coûter fort cher à un avocat pourtant plein de bonnes intentions.
Cet avocat prend le risque, pour gagner l’éventuelle estime de son confrère ou espérer un quelconque retour, de devoir faire une déclaration de sinistre, de perdre un client et de noircir sa réputation quant à ses compétences, sans même parler des conséquences sur le plan disciplinaire.
Donc, soulever un moyen de procédure qui a des chances de prospérer n’est pas un choix de la part du conseil, mais une obligation.
À défaut, le conseil manque à ses obligations tant au regard du mandat qui le lie à son client, qu’au regard du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat, et l’addition risque d’avoir un goût amer.