J’adore les huissiers, mais…
Dans la catégorie coup de gueule du jour !
Moi qui ne m’énerve jamais – ou quasiment jamais -, c’est un huissier qui m’a donné l’occasion de sortir de mes gonds.
- Les faits
Devant délivrer une assignation en référé premier président pour le 13 mai 2014, l’huissier – un de plus, mais c’est la goutte d’eau qui a fait déborder l’océan… – me précise au téléphone qu’il lui faudra une provision. Il n’en fallait pas davantage pour que je m’énerve… l’ayant sous la main, c’était l’occasion ou jamais !
Effectivement, je trouve cela agaçant de recevoir des demandes de provision de la part des huissiers pour la délivrance de leurs actes.
De plus, comment je fais concrètement, étant postulant, pour demander la provision à mon correspondant avocat qui retransmettra au client qui règlera la provision à l’avocat qui me la retournera et que j’adresserai à l’huissier… La date du 13 mai 2014 sera passée !
- L’office ministériel
Pour rappel, il n’y a pas véritablement de définition de l’office ministériel.
Selon la réponse ministérielle n° 19 813 du 3 septembre 1982 (JOAN Q 14 février 1983, page 839) :
L’office ministériel peut se définir comme un organe dont le titulaire exerce une mission de service public tout en assurant la représentation des intérêts privés.
Les officiers ministériels disposent du droit de présenter leurs successeurs à l’agrément du Gouvernement qui les nomme en vue de l’exercice de certaines fonctions.
À ce titre, ils sont soumis à un statut légal et réglementaire qui définit les conditions d’aptitude pour être nommé, leurs attributions et leur compétence territoriale, les modalités d’exercice de leurs fonctions et leur régime disciplinaire, prévoit les mécanismes de garantie collective et d’assurance au profit de la clientèle et détermine leur rémunération.
L’officier public ou ministériel bénéficie d’un statut établi par la loi. Il est nommé par les pouvoirs publics, exerce des fonctions réglementées et est soumis à la surveillance des parquets. Il est soumis à un régime disciplinaire autonome. Surtout, il remplit une fonction qui relève de la mission de service public.
L’officier ministériel remplit une fonction qui relève de la mission de service public
La mission s’inscrit dans le cadre du service public, ce qui implique la notion de continuité du service public.
Dès lors que l’officier public ou ministériel accomplit une mission de service public, cette mission doit être assortie d’un monopole : monopole de représentation de l’avoué devant la cour (avant sa suppression), monopole de représentation de l’avocat aux conseils devant la Cour de cassation et le Conseil d’État, monopole de rédaction d’actes pour les notaires, monopole d’exécution des décisions de justice par l’huissier de justice).
Cependant, un monopole peut exister en dehors de tout office. Ainsi, les avocats qui ne sont pas officiers ministériels disposent d’un monopole de représentation en première instance. Ils ont également le monopole des plaidoiries.
En contrepartie de ce monopole, les officiers publics ou ministériels sont obligés de prêter leur ministère lorsqu’ils en sont requis. L’avocat qui possède un monopole ne connaît pas cette contrepartie (Rép. min. n° 11187 : JO AN Q 29 janv. 2008, p. 840 ; « si les auxiliaires de justice ayant le statut d’officier public sont tenus de prêter leur ministère à ceux qui en font la demande, aucune obligation de même nature ne pèse sur les avocats, qui sont une profession libérale et indépendante. Sauf désignation d’office dans les cas prévus par la loi, l’avocat dispose de la liberté d’accepter ou de refuser la sollicitation d’un client« , Dépêches JurisClasseur 31 janvier 2008).
Avant d’être avocat, j’étais avoué. J’étais donc officier ministériel, tout comme l’est l’huissier.
Jamais, comme officier ministériel, je n’aurais imaginé conditionner l’inscription de mon acte d’appel – ou tout autre acte de procédure – au règlement d’une provision.
L’avoué ne demandait jamais une provision conditionnant la régularisation de son acte d’appel
Dès lors que j’étais requis, j’effectuais les actes de procédure.
Il en était ainsi que je sois saisi par un avocat habituel, par un autre que je ne connaissais pas, ou directement par le justiciable.
Et, évidemment, il arrivait dans quelques dossier qu’après l’inscription de l’acte d’appel, nous n’ayons plus de nouvelles du client.
Nous nous asseyions alors sur notre état de frais.
C’était comme ça. Il y avait des impayés et nous n’y pouvions rien, si ce n’est limiter les diligences et donc les frais, en nous retranchant derrière l’absence d’instructions (et non derrière le non paiement de la provision).
Mais c’était la contrepartie de l’office ministériel, avec son monopole et les privilèges attachés à l’office. Ce dossier à perte était compensé par un autre dossier payant.
Nous savions qu’en tant qu’officier ministériel – et sauf à engager notre responsabilité et à encourir des sanctions sur le plan disciplinaire – nous devions accomplir la mission qui nous était confiée.
- Les obligations de l’huissier, officier ministériel
Ainsi, un huissier, sauf contradiction d’intérêt, ne peut refuser de délivrer un acte, ou le conditionner au règlement d’une provision.
Un refus injustifié de prêter son concours pourrait conduire à une sanction disciplinaire.
De plus, si par son refus, l’acte n’est pas délivré dans le délai, l’huissier pourrait voir mise en cause sa responsabilité.
L’officier ministériel est obligé de prêter son ministère lorsqu’il en est requis, sauf à engager sa responsabilité et à encourir des sanctions disciplinaires
Voilà les raisons pour lesquelles je refuse ce principe des provisions, qui du reste n’est pas exigé de tous les huissiers. Comment font ceux qui ne pratiquent pas cette demande systématique de provision ?
Si ceux-là peuvent le faire, il en est de même des autres huissiers.
Alors, oui, je serais le premier à descendre dans la rue pour manifester aux côtés des huissiers si la profession était menacée.
Nous avons besoin des huissiers, et pour rien au monde je ne voudrais que l’acte soit délivré par les services postaux. Le facteur ne pourra jamais accomplir avec la même efficacité les démarches faites par l’huissier pour retrouver le destinataire, et avoir l’assurance que les droits des personnes – requérants et destinataires – sont respectées. Il en va de la sécurité juridique.
Il n’en demeure pas moins que certains comportements m’agacent profondément.
La profession d’huissier est indispensable, mais elle doit accepter les contraintes liées à un statut particulier
Désormais, nous sommes obligés de revoir la liste de nos huissiers, et remplacer nos correspondants trop exigeants au profit d’huissier qui ont compris d’une part que leur statut a une contrepartie qu’il faut accepter, et d’autre part des conditions dans lesquelles nous-mêmes intervenons.
Par les temps qui courent, à l’heure où les professions réglementées sont menacées, où les rentes dites de situation sont regardés d’un mauvais oeil, et où le tarif n’est plus véritablement en vogue au nom de la libre concurrence, il convient à ceux qui en bénéficient de rester prudents. A tout risquer, on peut tout perdre…
… et l’ancien avoué que je suis sait de quoi il parle…