Qui n’a pas régulièrement conclu dans son délai ne peut plus conclure !
C’est ainsi que peut se résumer cette ordonnance de mise en état du 7 octobre 2013 (CA Rennes 1re chambre 7 octobre 2013, OCME n° 142, RG 12-02663, Réf. cabinet 100114).
Pour bien comprendre, il faut commencer par le début.
C’est donc l’histoire d’un intimé qui avait précédemment été déclaré irrecevable en ses conclusions en raison principalement de l’irrecevabilité de sa constitution… étant encore précisé que ce même intimé avait en outre omis de notifier règulièrement au conseil de l’appelant ses conclusions dans le délai de trois* deux mois de l’article 909 du CPC.
Ces erreurs procédurales n’avaient pas échappé à l’appelant qui n’avait pas manqué de les soumettre au conseiller de la mise en état, lequel lui avait donné raison. L’ordonnance avait déclaré irrecevable la constitution et les conclusions… ordonnance qui n’avait pas été contestée dans le cadre d’un déféré qui n’est jamais arrivé…
Prenant prétexte d’une nouvelle communication de pièces en appel, l’intimé avait cru pouvoir conclure au fond nonobstant la précédente ordonnance l’ayant déclaré irrecevable en toutes ses conclusions. Evidemment, l’appelant s’est empressé de soulever l’irrecevabilité de ces nouvelles conclusions.
L’intimé a oublié de conclure sur l’incident (quand ça veut pas, ça veut pas !), mais avait développé une argumentation dans ses conclusions au fond tenant au principe de loyauté et au procès équitable du bon vieil article 6 CEDH (ce sont généralement les moyens les plus souvent invoqués lorsqu’il n’y a pas d’autres fondements textuels dans le CPC).
Le Conseiller de la mise en état ne s’y est pas trompé et a rendu une décision qui apparaît comme strictement conforme aux textes et à la « doctrine » (pour la doctrine, voir évidemment la Gazette du Palais 9-11 juin 2013, Doctrine, page 11 – Négligence de l’intimé et nouvelles conclusions de l’appelant – quelle rigueur dans la nouvelle procédure d’appel ? Faut-il sanctionner l’appelant diligent ? par Christophe Lhermitte… ben oui, c’est tout de même de la doctrine).
Pour la Cour d’appel de Rennes, dès lors que l’intimé n’a pas conclu dans le délai prévu à l’article 909 du CPC, doivent être déclarées irrecevables toutes ses autres conclusions.
Sachant que la première ordonnance, fort curieusement, n’avait pas fait l’objet d’un déféré, lui conférant ainsi la force irrévocable (Civ. 1re 10 avril 2013, n° 12-14939), reste à savoir si l’intimé envisagera un déféré contre cette nouvelle ordonnance… dont il n’est du reste pas certain qu’il soit ouvert. En effet, en déclarant irrecevable des conclusions au motif que l’intimé n’avait pas précédemment conclu dans son délai, le conseiller de la mise en état a-t-il prononcé « l’irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 et 910 » au sens de l’article 916 du CPC ? La discussion reste ouverte, et sera débattue le moment venu, dans l’hypothèse d’un déféré.
L’appelant se trouve donc seul en course, et le restera jusqu’à l’arrivée, sans que l’intimé ne puisse rien y faire pour tenter de remonter en selle : en appel, comme au Prix d’Amérique, quand on chute, on reste par terre et on regarde les autres concurrents continuer la course (en espérant secrètement que le même sort frappe l’appelant…).
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Par ailleurs, cette ordonnance est intéressante à un autre titre, celle de la communication des pièces.
L’adversaire, dans ses conclusions au fond, concluait à l’irrecevabilité des pièces au motif qu’elles n’auraient pas été communiquées simultanément avec les conclusions. L’intimé invoque ainsi l’avis de la Cour de cassation du 25 juin 2012 (Avis n° 1200005 du 25 juin 2012 – Gazette du Palais 24-26 février 2013, Doctrine, page 14 – Absence de communication simultanée des pièces – les parades à l’avis de la Cour de cassation du 26 juin 2012 par Christophe Lhermitte).
En toute logique, le Conseiller de la mise en état, qui constate que l’intimé (qui a oublié de conclure pour l’incident…) n’a formé devant lui aucune demande en ce sens, rappelle qu’il n’a pas compétence pour écarter des pièces du débat (voir Avis n° 1300003 du 21 janvier 2013), seule la formation collégiale de la cour d’appel ayant compétence.
Or, l’intimé étant irrecevable à conclure au fond, il devient irrecevable à saisir la cour d’appel de ce moyen d’irrecevabilité des pièces pour absence de simultanéité.
Par conséquent, un intimé ne peut le cas échéant se prévaloir de l’avis de la Cour de cassation du 25 juin 2012, et demander le rejet des pièces, qu’à la condition d’avoir régulièrement conclu dans son délai.
* Oups, j’avais commis une erreur, de nature à rendre honteux celui qui se présente comme spécialiste de la procédure d’appel… mais je dois assumer. J’en parlerai tout de même très rapidement à ma psy pour éviter un traumatisme trop ancré.
Merci à notre consoeur parisienne Maître Alice MALEKPOUR qui a très justement relevé cette erreur. Au moins, il y en a qui suivent !